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Santé mentale des soignants : brisons le tabou !

le 29/10/2025

Santé mentale des soignants : brisons le tabou !

Troubles anxieux, dépression, idées suicidaires... Derrière les blouses blanches se cache une souffrance trop rarement évoquée. Selon la vaste enquête menée par l'OMS sur la santé mentale des soignants en Europe, les médecins et infirmiers sont cinq fois plus touchés par les symptômes dépressifs que le reste de la population : 32 % d'entre eux en souffrent, contre 6 % en moyenne. Un chiffre qui interroge sur la capacité de notre système de soins à prendre soin de ceux qui nous soignent. Pour comprendre les racines de cette crise et explorer les voies de guérison possibles, nous avons interrogé Alexis Bataille-Hembert, infirmier et Directeur de projet à la direction de la santé mentale de Ramsay Santé. Co-rédacteur du rapport ministériel sur la santé des professionnels remis en octobre 2023, il porte un regard lucide sur les défis à relever et les solutions qui émergent pour accompagner les soignants.

La crise sanitaire a mis en lumière une réalité longtemps occultée. Qu'avez-vous constaté sur l'état de la santé mentale des soignants en France ?

Le rapport sur la santé des professionnels de santé, remis en octobre 2023 et fondé sur une consultation nationale de près de 50 000 soignants, dresse un tableau préoccupant. Nous avons identifié trois difficultés ayant une forte prévalence chez les soignants : les troubles anxieux, la détresse émotionnelle et la fatigue de compassion. Plus inquiétant encore, 55 % du panel interrogé estime avoir connu un ou plusieurs épisodes d’épuisement professionnel. Ce chiffre, bien que fondé sur une auto déclaration et non un diagnostic clinique, témoigne d'une fragilité profonde au sein de la profession.

L'OMS vient de publier la plus grande étude jamais réalisée en Europe sur ce sujet, menée dans 29 pays. Les résultats confirment nos constats : les soignants font face à une charge émotionnelle écrasante, à ce que nous appelons les « violences symboliques » - être confrontés quotidiennement à la mort, à la maladie, à la détresse humaine. Cette exposition permanente peut conduire à ce qu’on appelle la « fatigue de compassion », une pathologie spécifique des métiers de l'accompagnement humain, qui mène progressivement à l'épuisement professionnel.

Pourquoi la santé mentale reste-t-elle un sujet tabou chez les soignants ?

Au-delà de notre culture européenne qui associe encore trop souvent santé mentale et folie, il existe une spécificité propre au monde médical. La logique de performance y est omniprésente. Il est alors particulièrement difficile pour un professionnel de santé d'endosser la double casquette de soignant et de soigné. Reconnaître sa vulnérabilité, c'est craindre d'être perçu comme un mauvais soignant par ses pairs. Cette perception est un des facteurs explicatifs du retard d'accès aux soins, en particulier faute d’une demande d’aide précoce. Il existe également un déni extrêmement important parmi les soignants. La formation scientifique, le statut professionnel, le rôle prescrit par la société, la banalisation de sa santé face à des patients atteints de pathologies graves, sont tout autant d’éléments qui contribuent indéniablement au déni de soi, en particulier lorsqu’il s’agit de santé mentale.

Quels sont les principaux facteurs qui fragilisent la santé mentale des soignants ?

L'organisation du travail joue un rôle majeur : horaires atypiques, travail de nuit, manque de reconnaissance sous toutes ses formes - financière, sociétale, symbolique. Mais le facteur le plus destructeur reste le conflit de valeurs. Les soignants sont constamment tiraillés entre ce qu'ils imaginent pouvoir faire et ce qu'ils produisent concrètement. Cette tension s'est exacerbée pendant la crise sanitaire, où des choix éthiques douloureux ont dû être faits, notamment pour l'accès aux soins intensifs. Ces dilemmes moraux, souvent vécus dans la solitude, laissent des traces profondes.

Heureusement, des facteurs protecteurs existent. La cohésion d'équipe constitue un socle fondamental pour la qualité de vie au travail. Les espaces de discussion sur le travail (EDT), élaborés par l'Agence nationale d'amélioration des conditions de travail, permettent aux équipes de faire remonter freins et leviers d'amélioration. L'Assistance publique des hôpitaux de Paris a mis en place ce dispositif avec des résultats très encourageants.

Comment Ramsay Santé accompagne-t-il concrètement les soignants en souffrance ?

En plus d’être précurseur sur ce sujet en ouvrant dès 2018 un établissement de santé mentale à Louhans (71), la clinique Le Gouz, entièrement dédiée à la santé mentale des soignants, puis en 2019, une prise en charge spécifique à la clinique Mon Repos à Ecully (69), Ramsay Santé a développé Médipsy-Care, un programme national de réhabilitation psychosociale présent dans huit établissements sur le territoire. Ce dispositif pluridisciplinaire implique psychiatres, infirmiers, psychologues, enseignants en activité physique adaptée, art-thérapeutes et praticiens en thérapies psychocorporelles. Le programme propose des consultations et des prises en charge ambulatoires en hôpital de jour qui s'étendent en moyenne de trois à six mois selon les besoins, avec un parcours de soins en cinq étapes ciblées sur les besoins spécifiques des soignants.

Le premier défi consiste à restaurer la confiance. Le soignant-patient connaît les médicaments, l'organisation des soins, les métiers qu'il va rencontrer. Il faut tisser une relation thérapeutique spécifique avec ce patient expert. Une fois ce lien établi, nous pouvons entamer le travail de fond sur des terrains psychologiques souvent très fragilisés.

Notre psychiatre référente, le Dr Magali Briane, a publié en avril dernier « Le burn-out des professionnels de santé, principes d'intervention thérapeutique », détaillant cette approche. Les protocoles décrits s'appuient sur des données probantes, documentées scientifiquement.

Comment encourager les soignants à franchir le pas sans craindre pour leur carrière ?

Il faut d'abord un changement culturel profond. Les difficultés psychologiques ne sont ni une fatalité, ni un signe de faiblesse. Se soigner pour mieux prendre soin des autres, c'est faire preuve de résilience et de professionnalisme. Les jeunes générations, peut-être moins imprégnées de ces tabous, pourraient être les moteurs de ce changement.

La communication est essentielle pour dédramatiser ces dispositifs. Que ce soit auprès du grand public ou des soignants directement, il est essentiel d’œuvrer pour une prise de conscience collective. C’est notamment l’objet du film « En première ligne » pour lequel j’ai participé à des ciné-débats (projections suivies de tables rondes). 

Enfin, l'accessibilité est cruciale. C’est notre conviction. Chez Ramsay Santé, ces soins sont accessibles sans reste à charge pour le patient, quel qu’il soit. Cette équité est fondamentale car il existe d’importants écarts de salaires chez les professionnels de santé et certains soignants ont des capacités financières limitées.

Comment le secteur de la santé se mobilise-t-il face à cette urgence ?

L'OMS recommande la mise en place de programmes nationaux de soins en santé mentale dédiés aux soignants. C'est exactement ce que nous développons avec Médipsy-Care. Au-delà des soins, nous travaillons actuellement à la formalisation de recherches scientifiques, nous continuons à enrichir notre réseau d’établissements qui propose Médipsy-Care et nous participons aussi à des événements comme le salon P4H (People for Health), premier salon national dédié au bien-être des professionnels de santé, pour partager notre expertise et faire évoluer les mentalités. 

Au-delà de Ramsay Santé, de nombreuses initiatives efficaces existent : le centre de prévention du travail de l'hôpital Foch, la maison des soignants de l'Institut SPS, l'unité de prévention et de promotion de la santé des professionnels de santé du CHU de Nice... L'Agence nationale d'appui à la performance a créé une banque de bonnes pratiques, accessible gratuitement, permettant de s'inspirer d'expériences réussies, y compris celles nécessitant peu de moyens.

La santé mentale des soignants n'est pas qu'un enjeu individuel, c'est un défi collectif qui conditionne la qualité de notre système de soins. Il est temps de briser le silence !